01/09/2016
Alex Taylor : Le Verger de marbre
Alex Taylor vit à Rosine, Kentucky. Après divers métiers improbables, fabriqué du tabac et des briquets, démantelé des voitures d’occasion, tondu des pelouses de banlieue et aussi été colporteur de sorgho pour différentes chaînes alimentaires, il s’est lancé dans l’écriture. Alex Taylor est diplômé de l’université de Mississippi et enseigne aujourd’hui à l’université de Western Kentucky. Ses nouvelles ont été publiées dans diverses revues littéraires et Le Verger de marbre, son tout premier roman vient de paraître.
En pleine cambrousse du Kentucky, un bled et une rivière avec un ferry reliant les deux berges. La liaison est assurée par les Sheetmire, Clem le père ou Beam le jeune fils de dix-neuf ans tandis que Derna, la mère, est à la maison. Une nuit où Beam est de service, il tue le voyageur inconnu qui tentait de le dévaliser. Manque de pot, la victime est le fils de Loat Duncan, une redoutable frappe locale qui fait régner sa loi dans le secteur avec son bras droit et ses dobermans agressifs. Ce crime ridicule, dû à une petite tête et un excès de testostérone, va donner le coup d’envoi à un cataclysme mortel.
Les résumés c’est fait pour résumer comme dirait l’autre, donc ça tronque méchamment et là, si vous vous en contentez pour bannir ce livre de vos lectures, vous allez faire une grave erreur. Certes il s’agit d’un polar, d’un roman noir même, mais si la catégorie « tragédie grecque » existait dans le catalogue de l’éditeur, ce roman y entrerait bille en tête. Tous les ressorts de cette antique littérature y sont repris. Prenons les liens familiaux par exemple, si l’on connait toujours la mère sait-on aussi sûrement qui est le père ? Quand des inconnus s’avèrent être des parents proches, les liens entre les uns et les autres prennent une tournure plus complexe, les motifs de leurs actions deviennent plus profonds ou dramatiques, surtout quand le lecteur est mis au parfum en premier des liens de sang secrets.
Nous avons donc une course poursuite entre Loat et Beam, Clem qui veut aider son fils, Elvis Dunne le shérif dans le rôle du poulet du Kentucky, le vieux Pete cueilleur de ginseng qui tentera de sauver son monde, Daryl le patron du bar sordide qui dans sa jeunesse était pote avec Clem et Loat, Derna qui les fréquentait dans un passé de tapineuse locale ; mais qui est cet étrange camionneur étranger à la région, vêtu d’un costard, venu se mêler à cet imbroglio, sans mobile apparent si ce n’est jeter de l’huile sur ce feu, comme un ange noir en provenance directe des Enfers ?
Course poursuite mais menée à un rythme plutôt lent comme si tout le monde savait dès le départ, Beam le premier, que personne n’irait bien loin, « Mais quel monde pourrait lui offrir plus que quelques jours de répit ? » et effectivement le roman ne s’étire que sur une petite semaine.
Si le roman est excellent, il doit tout à l’écriture d’Alex Taylor, une manière d’écrire que je ne m’attendais pas à trouver dans ce type d’ouvrage. Il y a du lyrisme, un rythme envoûtant pour mener le lecteur vers un épilogue dramatique. Les scènes de violence sont brèves, inutile de charger en noirceur ; il y en a aussi de mémorables (le vautour dans la maison abandonnée), de très visuelles mais moins crédibles (les guêpes dans la voiture). Des réflexions qui font mouche (« Peu importe combien de temps on prenait pour mettre son chapeau, on finissait toujours par franchir une porte et faire face à ce qui attendait de l’autre côté. » A moins qu’on ne tombe sur un effet rétro, « Puis elle quitta la pièce, longeant le couloir dans sa robe de chambre vert pâle dont l’ourlet trainait derrière elle. »
Un très bon roman qui semble promettre un nouvel écrivain à suivre de près… ?
« Un vieux chemin la conduisit à l’endroit qu’elle cherchait. Elle avait d’abord pensé ne pas retrouver la route, mais tout lui était ensuite revenu : remonter depuis les étendues de terreau vers un chapelet de collines bulbeuses et leurs senteurs capiteuses dans le petit matin, dépasser les granges en ruine et les mobile-homes affalés dans les joncs, les grillages affaissés et tordus par les vents, puis descendre vers la scierie où les tas de sciure se dressaient tels du suif fondu sur le sol noir et boueux, les hommes partant travailler dans le tremblement vaporeux de la lumière, quelques uns levant la main à son intention quand elle passa devant eux. »
Alex Taylor Le Verger de marbre Gallmeister – 272 pages –
Traduit de l’américain par Anatole Pons
07:47 Publié dans POLARS | Tags : alex taylor | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |